La cigarette électronique interdite des lieux publics? Touche pas à mon vapoteur!

Demandé par Marisol Touraine, le rapport sur la e-cigarette s’oppose à son usage dans les lieux public. C’est un mauvais coup porté à la santé publique et, pour les fumeurs, une incitation à ne pas tenter cette possibilité de sevrage. Une belle occasion de lutter en France contre le fléau du tabac (200 morts prématurées par jour) vient d’être gâchée. Rendu public mardi 28 mai, le rapport sur la cigarette électronique du Pr Bertrand Dautzenberg, (pneumologue et président de l'Office français de prévention du tabagisme) décevra tous ceux qui espéraient que la France allait franchir une étape décisive dans la lutte contre une addiction majeure (34% des adultes sont des fumeurs). Demandé par Marisol Touraine, ministre de la Santé, ce document a été rédigé en un mois « avec l’aide de la Direction générale de la Santé. En 204 pages et 114 références bibliographiques, il fournit un panorama complet et actualisé des connaissances scientifiques, techniques et médicales sur le sujet. Il fournit ainsi une démonstration imparable. Tout indique en 2013 que l’usage de la e-cigarette est un substitut à la consommation de tabac par inhalation et que cet outil de substitution est infiniment moins dangereux que le tabac. Autant que l’on puisse en juger avec le recul dont on dispose, la cigarette électronique est au moins 100 fois moins nocive que la cigarette. Et à la différence notable du tabac inhalée, elle ne présente pratiquement aucun danger pour les personnes qui sont à proximité du «vapoteur». Dès lors la logique sanitaire semblait claire et la raison s’imposer. C’était compter sans le poids des représentations maléfiques de la cigarette chez nombre de ceux qui combattent le fléau du tabac. C’est ainsi que parmi les 28 recommandations et préconisations du rapport une pose un problème majeur: l’interdiction de l’usage de la e-cigarette dans les lieux publics (recommandation 22). «Les experts recommandent que l’utilisation d’e-cigarettes et de tout “produit évoquant le tabagisme” (PET) soit interdite dans les endroits où il est interdit de fumer en modifiant l’article R3511-1 du Code de la santé publique: “… l’interdiction de fumer et d’utiliser la cigarette électronique et tout autre produit évoquant le tabagisme dans les lieux affectés à un usage collectif mentionnée à l’article L. 3511-7 du Code de la santé publique”». Pourquoi bannir dans les lieux publics la e-cigarette? Pour deux raisons brièvement exposée dans le rapport. L’un est un fait: «il est en pratique impossible de faire visuellement la différence entre les e-cigarettes utilisant du e-liquide avec nicotine ou sans nicotine car leur aspect est identique et leur utilisation simule dans les deux cas l’acte de fumer». L’autre est ainsi rédigée: «Dans les lieux où il est interdit de fumer, l’e-cigarette, même sans nicotine, pourrait constituer une incitation à fumer».

Interdire la cigarette en chocolat

C’est là une hypothèse avancée sans preuve, une supposition qui exprime précisément le regard porté par les intégristes de la lutte anti-tabac sur la cigarette, la gestuelle qui lui est associée et les volutes qu’elle génère. Tout ceci qu’il s’agisse de tabac ou pas. A ce titre, il est urgent, si ce n’est déjà fait, d’interdire les cigarettes en chocolat des lieux affectés à un usage collectif. Si elle devait être retenue par Marisol Touraine, une telle mesure aurait l’effet exactement inverse de celui qui semble pourtant recherché par les experts. Plusieurs arguments doivent ici être avancés. Un nombre croissant d’expériences vécues et rapportées montrent que le vapotage dans les lieux affectés à un usage collectif constitue une redoutable publicité pour l’abandon de la cigarette-tabac au profit de la e-cigarette. C’est là que les fumeurs découvrent les vapoteurs, qu’ils échangent entre connaisseurs et sont incités à tenter cette aventure jamais anodine que constitue le sevrage tabagique. C’est là, et nulle part ailleurs, que les informations circulent sur le vapotage dont l’un des principaux avantages (outre une dangerosité considérablement inférieure comme le dit le rapport Dautzenberg) réside dans la liberté retrouvée de vapoter partout, ou presque (la e-cigarette est pour des raisons de sécurité, dit-on, interdite dans les aéronefs). Sur le fond, et plus grave encore, étendre cette interdiction à l’ensemble des lieux affectés à un usage collectif revient à assimiler tabac et e-cigarette. Or ceci est précisément en totale contraction complète avec tout le reste du rapport de Bertrand Dautzenberg qui s’attache à démontrer ce qu’il en est des différences et des avantages pour la santé publique.

Incitation à fumer?

D’ores et déjà la médiatisation faite autour de ce rapport et de la recommandation n°22 est de nature à décourager les fumeurs qui, envisageant d’en finir avec leur consommation-servitude, voyaient dans la e-cigarette une possibilité raisonnable sinon de sevrage radical du moins une possibilité de dompter leur assuétude. «A quoi bon passer à la e-cigarette si elle aussi est interdite?», se diront les fumeurs. Interdite sur les lieux de travail, les centres commerciaux, les aéroports, les gares, les hôpitaux et les écoles. Mais aussi dans les «lieux de convivialité»: bars, restaurants, hôtels, casinos, discothèques. Pourquoi passer à la e-cigarette si c’est pour se retrouver au pied des immeubles, à la fois exclu de la communauté des non-fumeurs et isolé des fumeurs, sans cendriers à remplir ou mégots à jeter? Et sans pouvoir apporter la preuve de visu que le tabac n’est pas une fatalité. «L’e-cigarette, même sans nicotine, pourrait constituer une incitation à fumer», affirme le Pr Dautzenberg. Or l’usage et le recul montrent que ce ne sont pas les non-fumeurs qui sont intéressés par la e-cigarette mais bien les fumeurs qui perçoivent là une nouvelle possibilité d’arrêter de fumer. L’un de nous deux (Michel Alberganti) en fait quotidiennement l’expérience depuis près d’un an. Imaginer que des non-fumeurs bientôt séduits par la e-cigarette commencent à vapoter avant de passer au tabac est de l’ordre du fantasme né, peut-être, de la confrontation quotidienne avec les conséquences pathologiques mortelles des produits licites dérivés du tabac. C’est au fond une bien paradoxale et bien étrange conclusion à laquelle parvient le président de l'Office français de prévention du tabagisme. Il est vrai que ce spécialiste de pneumologie n’avait jamais caché, avant que la ministre de la Santé ne lui confie cette responsabilité, les doutes qu’il nourrissait vis-à-vis de ce nouvel outil potentiellement libérateur. Et il en vient ici à démontrer sur un sujet sanitaire essentiel que le mieux est décidément le meilleur ennemi du bien. Marisol Touraine qui vient de prendre connaissance de ce document s’exprimera sur le sujet le 31 mai prochain à l’occasion de la Journée mondiale sans tabac. On peut espérer qu’elle aura d’ici là biffé la recommandation n°22. Au nom du bien public.

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